jueves, 29 de septiembre de 2011

LAS FLORES DEL MAL/LES FLEURS DU MAL





Bendición

Cuando, por un decreto de las potencias supremas,
El Poeta aparece en este mundo hastiado,
Su madre espantada y llena de blasfemias
Crispa sus puños hacia Dios, que de ella se apiada:
—"¡Ah! ¡no haber parido todo un nudo de víboras,
Antes que amamantar esta irrisión!
¡Maldita sea la noche de placeres efímeros
En que mi vientre concibió mi expiación!
Puesto que tú me has escogido entre todas las mujeres
Para ser el asco de mi triste marido,
Y como yo no puedo arrojar a las llamas,
Como una esquela de amor, este monstruo esmirriado,
¡Yo haré rebotar tu odio que me agobia
Sobre el instrumento maldito de tus perversidades,
Y he de retorcer tan bien este árbol miserable,
Que no podrán retoñar sus brotes apestados!"
Ella vuelve a tragar la espuma de su odio,
                                                     Y, no comprendiendo los designios eternos,


Ella misma prepara en el fondo de la Gehena
Las hogueras consagradas a los crímenes maternos.
Sin embargo, bajo la tutela invisible de un Ángel,
El Niño desheredado se embriaga de sol,
Y en todo cuanto bebe y en todo cuanto come,
Encuentra la ambrosía y el néctar bermejo.
El juega con el viento, conversa con la nube,
Y se embriaga cantando el camino de la cruz;
Y el Espíritu que le sigue en su peregrinaje
Llora al verle alegre cual pájaro de los bosques.
Todos aquellos que él quiere lo observan con temor,
O bien, enardeciéndose con su tranquilidad,
Buscan al que sabrá arrancarle una queja,
Y hacen sobre El el ensayo de su ferocidad.
En el pan y el vino destinados a su boca
Mezclan la ceniza con los impuros escupitajos;
Con hipocresía arrojan lo que él toca,
Y se acusan de haber puesto sus pies sobre sus pasos.
Su mujer va clamando en las plazas públicas:
"Puesto que él me encuentra bastante bella para adorarme,
Yo desempeñaré el cometido de los ídolos antiguos,
Y como ellos yo quiero hacerme redorar;
¡Y me embriagaré de nardo, de incienso, de mirra,
De genuflexiones, de viandas y de vinos,
Para saber si yo puedo de un corazón que me admira
Usurpar riendo los homenajes divinos!
Y, cuando me hastíe de estas farsas impías,
Posaré sobre él mi frágil y fuerte mano;
Y mis uñas, parecidas a garras de arpías,
Sabrán hasta su corazón abrirse un camino.
Como un pájaro muy joven que tiembla y que palpita,
Yo arrancaré ese corazón enrojecido de su seno,
Y, para saciar mi bestia favorita,
Yo se lo arrojaré al suelo con desdén!"
Hacia el Cielo, donde su mirada alcanza un trono espléndido,
El Poeta sereno eleva sus brazos piadosos,
Y los amplios destellos de su espíritu lúcido
Le ocultan el aspecto de los pueblos furiosos:
—"Bendito seas, mi Dios, que dais el sufrimiento
Como divino remedio a nuestras impurezas
 
Y cual la mejor y la más pura esencia
Que prepara los fuertes para las santas voluptuosidades!
Yo sé que reservarás un lugar para el Poeta
En las filas bienaventuradas de las Santas Legiones,
Y que lo invitarás para la eterna fiesta
De los Tronos, de las Virtudes, de las Dominaciones.
Yo sé que el dolor es la nobleza única
Donde no morderán jamás la tierra y los infiernos,
Y que es menester para trenzar mi corona mística
Imponer todos los tiempos y todos los universos.
Pero las joyas perdidas de la antigua Palmira,
Los metales desconocidos, las perlas del mar,
Por vuestra mano engastados, no serían suficientes
Para esa hermosa Diadema resplandeciente y diáfana;
Porque no será hecho más que de pura luz,
Tomada en el hogar santo de los rayos primitivos,
Y del que los ojos mortales, en su esplendor entero,
No son sino espejos oscurecidos y dolientes!"


Bénédiction
Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le Poète apparaît en ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié:
-"Ah! que n'ai-je mis bas tout un noeud de vipères,
Plutôt que de nourrir cette dérision!
Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères
Où mon ventre a conçu mon expiation!
Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes
Pour être le dégoût de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,
Je ferai rejaillir ta haine qui m'accable
Sur l'instrument maudit de tes méchancetés,
Et je tordrai si bien cet arbre misérable,
Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés!"
Elle ravale ainsi l'écume de sa haine,
Et, ne comprenant pas les desseins éternels,
Elle-même prépare au fond de la Géhenne

Les bûchers consacrés aux crimes maternels.
Pourtant, sous la tutelle invisible d'un Ange,
L'Enfant déshérité s'enivre de soleil
Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange
Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.
II joue avec le vent, cause avec le nuage,
Et s'enivre en chantant du chemin de la croix;
Et l'Esprit qui le suit dans son pèlerinage
Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.
Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte,
Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillité,
Cherchent à qui saura lui tirer une plainte,
Et font sur lui l'essai de leur férocité.
Dans le pain et le vin destinés à sa bouche
Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats;
Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche,
Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.
Sa femme va criant sur les places publiques:
"Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer,
Je ferai le métier des idoles antiques,
Et comme elles je veux me faire redorer;
Et je me soûlerai de nard, d'encens, de myrrhe,
De génuflexions, de viandes et de vins,
Pour savoir si je puis dans un coeur qui m'admire
Usurper en riant les hommages divins!
Et, quand je m'ennuierai de ces farces impies,
Je poserai sur lui ma frêle et forte main;
Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies,
Sauront jusqu'à son coeur se frayer un chemin.
Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,
J'arracherai ce coeur tout rouge de son sein,
Et, pour rassasier ma bête favorite
Je le lui jetterai par terre avec dédain!"
Vers le Ciel, où son oeil voit un trône splendide,
Le Poète serein lève ses bras pieux
Et les vastes éclairs de son esprit lucide
Lui dérobent l'aspect des peuples furieux:
-"Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
Comme un divin remède à nos impuretés
Et comme la meilleure et la plus pure essence
 
Qui prépare les forts aux saintes voluptés!
Je sais que vous gardez une place au Poète
Dans les rangs bienheureux des saintes Légions,
Et que vous l'invitez à l'éternelle fête
Des Trônes, des Vertus, des Dominations.
Je sais que la douleur est la noblesse unique
Où ne mordront jamais la terre et les enfers,
Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique
Imposer tous les temps et tous les univers.
Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre,
Les métaux inconnus, les perles de la mer,
Par votre main montés, ne pourraient pas suffire
A ce beau diadème éblouissant et clair;
Car il ne sera fait que de pure lumière,
Puisée au foyer saint des rayons primitifs,
Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,
Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs!